De quelques évènements sans signification
ABOUT SOME MEANINGLESS EVENTS
FICHE TECHNIQUE
DE/BY MOSTAFA DERKAOUI, Maroc/Morocco, 1974, 76 min
RESTAURÉ PAR/RESTORED BY Filmoteca de Catalunya, en collaboration avec l’Observatoire, Art et Recherche (Casablanca).
Production : Basma Production (Mostafa Derkaoui)
Scénario et réalisation : Mostafa Derkaoui
Image : Mohamed Abdelkrim Derkaoui
Montage : Mostafa Derkaoui
Musique : Nahorny
Son : Stan Wiszniewski, Noureddine Gounejjar
Version restaurée numérique 4K par le Centre de Conservation et de Restauration de la Filmoteca de Catalunya, Barcelone, en partenariat avec L’Observatoire, Casablanca
Format original : 16mm gonflé en 35mm.
Avec Abdellatif Nour, Abbas Fassi-Fihri, Hamid Zoughi, Mostafa Dziri, Aïcha Saâdoun, Mohamed Derham, Salah-Eddine Benmoussa, Abdelkader Moutaâ, Khalid Jamaï, Chafik Shimi, Malika El Mesrar, Omar Chenbout, Mostafa Nissabouri.
Restauration :
Filmoteca de Catalunya
Esteve Riambau eriambau@gencat.cat
Distribution Internationale :
TALITHA www.talitha3.com talitha.contact@gmail.com
Léa Morin morin.lea@gmail.com
SYNOPSIS
Une équipe de cinéastes en quête d’un thème à traiter interroge des jeunes casablancais sur leurs attentes et leurs rapports au cinéma marocain. Lorsqu’ils assistent à un crime commis par un ouvrier du port insatisfait, qui tue involontairement son chef, ils décident de s’intéresser à ce cas particulier. Cette investigation sur les mobiles du crime les poussera à réfléchir à leur conception du cinéma et au rôle de l’artiste dans la société.
AVIS DES PROGRAMMAT.EUR.TRICE.S
Sommet et liquidation du cinéma engagé des années 70 : art poétique et manifeste théorique pour un nouveau cinéma marocain, mais aussi amer constat de son impossibilité dans une société qui ne change pas. Derkaoui dirige un collectif d'artistes amis et des militants marxistes, et organise un méta-film qui brouille toute distinction documentaire/fiction et vire vers l'esthétique du happening. Dans ce labyrinthe des mots et miroirs, le réalisateur utilise la réflexivité pas comme un énième dispositif moderniste mais comme impitoyable autocritique d'une classe intellectuelle plâtrée dans ses contradictions politiques. Censuré et interdit de diffusion et d'exportation, œuvre longtemps clandestine et mythique, radical aussi par sa débordante musique free jazz, ce film est un trésor enfin retrouvé. (Federico Rossin, pour TENK
Historien du cinéma, programmateur indépendant)
Casablanca, 1973 : un réalisateur prépare un tournage, mais désireux de prendre en charge le cinéma de son pays, parcourt les rues de la ville, interrogent les passants sur ce que pourrait et devrait être le cinéma marocain. Les réponses fusent, contradictoires, à l’image des personnes interrogées. Les membres de l’équipe de tournage discutent : ils s’efforcent de construire la théorie d’un cinéma national indépendant, entre expérimentation formelle et représentation sociale, exemples cosmopolites et rejet de l’écrasant regard français. Mais au cours de leurs repérages surgit un jeune homme qui les fascine, et dont le destin se nouera alors même qu’ils regardent ailleurs. Soulignant les apories du cinéma national aussi bien que la violence qu’engendre la misère sociale, De quelques événements sans signification, après une unique projection parisienne en 1974, fut immédiatement censuré et longtemps cru disparu. Derkaoui y construit une esthétique de la focale longue, habituellement propre au documentaire, pour brouiller les repères entre les niveaux de réalité de son film ; la bande-son, avec son free-jazz virevoltant en contrepoint aux rares images de violence du film, achève de confondre toute lecture univoque. Car De quelques événements sans signification n’est rien moins qu’une critique des ambitions du cinéma par les armes mêmes du cinéma, un film qui n’a de cesse de relancer la question qu’il pose : que peut véritablement la caméra ? (N.L./ FID Marseille)
Around the port’s streets and popular bars of Casablanca, a group of filmmakers conduct discussions with people about their expectations of, and aspirations for, the emerging Moroccan national cinema. When a disgruntled worker kills his superior accidentally, their inquest shifts focus, and they begin to probe the context and motives of the killing. At the heart of De quelques événements sans signification is an interrogation on the role of cinema (and art) in society, documentary and the Real, and what constitutes an urgency for a national cinema that is being born. This unique filmic experience was conceived as an independent and collective effort of militant filmmakers, actors, musicians, poets and journalists at a time of heightened repression on freedom of expression in Morocco and was funded by the sale of paintings by several contemporary painters. The film was first screened in Paris in 1975 but was immediately taxed with censorship and forbidden from exhibition and export. It was forgotten until a negative print was found in the archives of the Filmoteca de Catalunya in 2016 and restored there. 45 years after its completion, the film will finally be released. (Rasha Salti, Berlinale)
PROJECTIONS
Berlinale Forum (archival constellation), 2019
Festival National de Tanger, 2019 (film d’ouverture)
Il Cinema Ritrovato Bologne, 2019
FID Marseille 2019 Mention spéciale - Prix du GNCR (Groupement National des Cinémas de Recherche)
Etats Généraux du Film documentaire de Lussas, 2019
Porto Post/Doc 2019
Cinematek Bruxelles 2019
Africa in Motion, Glasgow , 2019
Festival International de Marrakech 2019
Maghreb des Films Cinema La Clef, Paris 2019
Museum of the Moving Image, New York 2020
MUBI 2021
Doc Fortnight festival, MOMA, New York, 2021
M+ Museum, Honk Kong, 2021
Festival de Cine Africano de Tarifa, 2021
TENK, 2021
Digital storytelling Lab, Udine, 2021
Trilogie marocaine, Musée Reina Sofia de Madrid, 2021
Association des rencontres méditerranéenne Cinéma droits de l’Homme (ARMCDH), Rabat, 2021
- Inquiétances des temps, Abbaye de Maubuisson, Saint-Ouen-l'Aumone, 2021
- Cinéma d'art et d'essai Le Cratère à Toulouse, séance présentée par Pascale Cassagnau, 2021
- FESPACO Classics, carte blanche Tigritudes, séance présentée par Aboubakar Sanogo, Valérie Osfour et Dyana Gaye, 2021
- Unpacking the Archive, RADICAL MODERNISMS: RETRACING ARAB AND NORTH AFRICAN HISTORIES, un programme conçu par Peter Limbrick, 2021
PRESSE
La recuperacion de un significativo film marroqui : De Quelques Evénements sans signification (Mostafa Derkaoui, 1974)
Journal of Film Publication FIAF, Esteve Riambau, Rosa Cardona et Léa Morin, 2018
Le cinéma marocain confronté au réel, Reda Zaireg, ORIENT XXI, 2018
De quelques séquences d’une grande signification
Le Desk, 2019
Meaningless events with a lot of meaning
Modern Times Review, Hans Henrik Fafner, 2018
Un film marocain sort de l’oubli 45 ans après, Reportage France 24, avec Mostafa Derkaoui, Mostafa Dziri et Léa Morin, 2019
La pelicula censurada estaba en la Filmoteca de Catalunya, El Pais, Toni Polo Bettonica, 2019
A suppressed masterwork of moroccan political cinema is suddenly streaming, The New Yorker, Richard Brody, january 2021
Lire le texte de Lucie Garçon à propos du film "De quelques événements sans signification" sur le site de la revue Débordements, 2021
TEXTES
FR
RECONSTITUER QUELQUES EVENEMENTS SANS SIGNIFICATION
Par Léa Morin (2018)
Le tournage du premier film de Mostafa Derkaoui s’est déroulé de janvier à avril 1974 dans les quartiers populaires et les bars du port de Casablanca. Cette production indépendante a bénéficié d’une mobilisation collective unique dans l’histoire culturelle du Maroc. L’implication des peintres d’abord (Melehi, Kacimi, Hamidi, Chebâa, etc) qui participent au financement du film en vendant leurs œuvres, mais aussi celle de toute la bande d’intellectuels qui gravite autour de Mostafa Derkaoui, son frère Abdelkrim en premier lieu, ainsi que les comédiens du théâtre municipal, les musiciens du groupe en vogue Jil Jilala ou encore les écrivains, journalistes et poètes les plus engagés du moment (Zafzaf, Nissaboury, Jamaï, Dziri, etc), du moins ceux qui ne sont pas emprisonnés.
Car depuis une dizaine d’années déjà, tous ces agitateurs, pour la plupart récemment revenus d’études en art, cinéma ou littérature à l’étranger, et notamment de pays communistes, font face à une répression autoritaire. La revue Souffles, qui leur offrait un espace libre d’expression, a été interdite en 1972 et son fondateur le poète Abdellatif Laabi arrêté avec de nombreux autres sympathisants et activistes de partis marxistes léninistes clandestins aux velléités de révolution.
C’est donc dans ce contexte de tensions, exacerbées par les récentes tentatives de coups d’état militaire de 1971 et de 1972, qui n’ont fait que renforcer l’isolement et donc la répression du Roi Hassan II, que Mostafa Derkaoui réalise son premier long métrage De quelques évènements sans signification. C’est en lui, en 1974, que les artistes et intellectuels marocains, toujours portés par les espoirs d’une révolution sociétale et culturelle pour leur pays nouvellement indépendant, fondent leurs espoirs.
Cet engouement collectif, cette solidarité entre artistes et intellectuels de toutes disciplines indiquent le niveau d’attente de toute une génération qui guettait depuis plusieurs années le retour des frères Derkaoui, partis en 1965 pour étudier le cinéma en Pologne à l’école de cinéma de Lodz. C’est l’attente d’un cinéma marocain, au delà des quelques expériences cinématographiques menées depuis l’indépendance (en 1973 la filmographie marocaine compte sept long métrages), mais aussi l’attente d’une nouvelle voix.
Le tournage de ce film est le point culminant d’une énergie créative exceptionnelle dans les années 1960 et 1970 au Maroc. Une énergie fondée sur le collectif et la capacité de sortir se confronter au monde, et ce dans tous les domaines artistiques. En parallèle aux interventions, on réfléchit à l’époque, notamment à travers les revues culturelles et cinématographiques, outils théoriques et de réflexion par excellence, et à la place qu’occupe l’artiste et le penseur face aux enjeux sociaux et politiques « de la rue ». Un désir profond d’ouverture vers l’espace public qui ne sera pas spécialement apprécié par les autorités.
L’équipe rencontrera très vite de nombreux obstacles : financiers, matériels, mais aussi des interruptions de tournage. Finalement le film sera interdit de diffusion par les autorités, car jugé « inopportun au Maroc ». Il ne rencontrera jamais son public. La seule projection « officielle » s’est déroulée en novembre 1975 au premier Festival International cinématographique de Paris, programmé par Henri Chapier qui qualifiait le film de proposition pour un « cinéma underground marocain ».
Cette interdiction est bien entendu liée au propos politique du cinéaste. Le film nous parle d’un ouvrier qui tue son chef, quelques années après les coups d’états contre le roi Hassan 2. Mais c’est aussi son ton libre et cette volonté de montrer les visages, les gestes, les lieux et les mots d’un Casablanca populaire, bien éloigné de l’image d’un Maroc « entre tradition et modernité » que cherche à promouvoir les autorités.
Si le film a longtemps été tenu à l’écart des projections officielles, des cinéphiles se sont organisés pour que le film puisse être vu de manière clandestine, au moins entre eux, comme par exemple au festival de Khouribga en 1977 sous l’impulsion de Nourredine Saïl qui avait convié plusieurs critiques internationaux à cette « projection de minuit ».
Suite à cette interdiction, Mostafa Derkaoui mettra plusieurs années avant de pouvoir tourner de nouveau, pour ensuite devenir le cinéaste prolifique, fondateur du cinéma marocain moderne que l’on connaît aujourd’hui.
L’interdiction est finalement levée dans les années 90, mais le film ne bénéficiera pas pour autant d’une sortie. Au début des années 2000, et après la faillite du laboratoire espagnol qui avait développé le film dans les années 70, on ne sait plus où sont les négatifs. Seules de mauvaises copies numériques du film circulent dans les cercles cinéphiles, grâce au collectionneur Mostafa Dziri, ami des Derkaoui qui leur avait emprunté une copie 35mm pour faire un télécinéma à la télévision marocaine. Ce « sauvetage » marquera la première étape de sa redécouverte et restauration qui nous permet aujourd’hui de pouvoir le montrer et lui redonner sa place dans une histoire du cinéma mondial.
Mostafa Derkaoui voulait faire un film « sur la personne du marocain et sur tout ce qui peut aller à son encontre, un film contre le régime autoritaire [1] ». Un film contre ceux qui se prennent pour des opposants et qui ont des idéaux d’émancipation alors qu’ils ne sont que « des sbires du régime » au service de la domination du peuple. « Je croyais encore que les choses pouvaient se faire mieux, plus rapidement et de manière plus catégorique chez moi au Maroc. Je fais clairement allusion au régime de Hassan II. Je voulais un changement maintenant, pas dans 10 ans »1. Dans le film de Derkaoui le plus révolté n’est pas le réalisateur et son groupe d’artistes marxistes qui interrogent le peuple et se posent de grandes questions sur la culture et la société, le révolté est le jeune ouvrier qui a tué son chef car il n’en pouvait plus de se faire exploiter.
Le dispositif filmique est assez « révolutionnaire » en ce début des années 70 au Maroc. Aucun réalisateur avant lui n’est sorti dans la rue, en « cinéma direct », pour filmer les casablancais (mise à part Mohammed Abbazi en 1969 dans une discrète et inachevée expérience cinématographique). Et même s’il ne s’agit pas ici d’un dispositif documentaire à proprement parler, puisque nous sommes dans un récit fictionnel et que les scènes sont préparées en amont, une grande part est laissé au réel. La caméra Arriflex BL 16mm prêtée par le CCM est discrète, portée à l’épaule, légère et silencieuse, la prise de son est directe. Lors de l’« enquête » Mostafa discute au préalable avec les « interrogés » de leurs réponses, des thématiques ou du sujet général, et le tournage commence. La parole est libre. « Tous les acteurs jouent bénévolement et ont droit de regard sur le tournage. Chaque scène, et parfois même des plans du film sont discutés avant et après leur tournage »1. Même chose pour les scènes dans les bars qui laissent une large part à l’improvisation. Et les censeurs ne manqueront pas la portée politique de cet acte.
Cette esthétique radicale et ce choix de ne jamais décider entre les deux niveaux de récits est surtout une manière d’introduire une réflexion (que Mostafa Derkaoui prolongera dans ses films suivants) sur le rapport du cinéma au réel. « Je voulais investir le cinéma par des moyens qui me permettront de mieux connaître son fonctionnement. (…) Quand (…) j’ai réalisé mon premier long-métrage « De quelques évènements sans signification », filmé par Abdelkrim, j’ai entamé le point de départ de cette période qui allait nous permettre de confronter notre conception du cinéma, en tant que domaine d’étude, avec le réel qui l’entoure, qui en est la source et en même temps l’émanation, et même le champ d’expérimentation des résultats (…) »[2]
« Je parle de moi même, de ce qui m’intéresse le plus immédiatement, j’ai un peu plus de liberté, mais je peux traiter plus amplement je peux travailler un peu plus à l’aise quand je parle d’un groupuscule disons une équipe de réalisation et de mise en scène confronté à ce qui l’entoure au dispositif. Et quand je fais ce revirement quand je fais tourner l’objectif vers le dispositif lui même, il y a cet espoir en moi, qu’en travaillant avec le détail j’atteints la fiction, c’est à dire que du microcosme qu’est le dispositif j’espère atteindre un cercle un peu plus large »
Mostafa Derkaoui aime à raconter que lorsqu’il était à l’école de cinéma de Lodz, où l’étude et la réalisation du documentaire était très présente, il avait le désir de faire un film qui puisse lui permettre d’être « au plus proche des visages, de la parole et des gestes. » Et c’est quand un de ses professeurs lui a affirmé que cela était impossible qu’il s’est mis en tête de réaliser un film qu’avec des plans rapprochés. L’utilisation des gros plan, mais aussi le mouvement caractérisent bien le cinéma de Derkaoui et sa tentative esthétique pour De quelques évènements, et nous rapproche d’une esthétique documentaire, et donc du réel. Ce rapprochement, à l’excès parfois, nous empêche souvent de nous situer. Les lieux ne sont pas identifiés. Surtout que la caméra est toujours en mouvement. Les voix se chevauchent, les visages aussi, dans un espace contigu. La caméra bouge sans arrêt de personnes en personnes comme si elle cherchait quelqu’un, un visage sur lequel se poser ou un « événement » à filmer ? Il faut imaginer Mostafa Derkaoui en train de chorégraphier ses scènes en renvoyant constamment ses personnages passer devant la caméra. Là aussi ces mouvements de caméra qui semblent imprécis et cette gêne provoquée par l’image souvent obstrués par les figurants, nous rapproche des personnages et donc du « réel ».
Le film commence par une enquête. Une question initiale. Celle d’un groupe de cinéastes, qui alors que leur cinéma national est à ses débuts, se demandent quel cinéma ils peuvent et vont faire. Et quel cinéma intéresse le public. « Parce que le cinéma et les films doivent être faits pour ceux qui les regardent, pour ceux qui vont se déplacer pour aller les voir. Je ne souhaitais pas imposer un point de vue mien, qui n’a aucune valeur, mais je voulais plutôt que les gens pour qui je vais travailler me disent ce qu’ils souhaitent voir sur un écran ». Cette enquête menée par le personnage du cinéaste, joué par le journaliste Abbas Fassi-Fihri, et son équipe, dont un assistant joué par Mostafa Derkaoui lui même, sera le fil conducteur du film.
Le groupe de cinéastes interroge les casablancais dans la rue et dans les cafés sur leurs attentes d’un cinéma marocain. Cette recherche est pour eux un moyen de trouver un sujet pour leur film, et ils en discuteront notamment lors d’une longue séquence tournée sur une terrasse. Cette enquête et ce débat fait écho à un débat entre cinéastes paru dans la revue Souffles en 1966[3], et pensé comme une tribune d’expression pour les cinéastes marocains qui se retrouvent alors dans une « impasse ». Alors que le cinéma marocain peine à émerger, ils tentent d’expliquer et de comprendre cette « impossibilité de faire un cinéma marocain » mais surtout souhaitent y apporter « des réponses et solutions ». Dans leurs discussions, le contexte décolonial est omniprésent, pour les uns c’est l’urgence d’informer, d’éduquer, pour les autres l’urgence de « décoloniser la culture » et de se connaître soi même pour ensuite faire un cinéma national.
Tout comme Souffles offrait aux intellectuels une tribune pour s’interroger sur le monde en mutation avec le défi de la colonisation culturelle mais surtout sur leur rôle et leur place en tant qu’intellectuels marocains, acteurs de la construction d’un pays en plein développement économique et social, De quelques évènements ré-ouvre ce débat, notamment à travers la recherche d’une définition d’un cinéma marocain à venir pour laquelle il convoque des cinéastes mais aussi des intellectuels comme le poète Nissaboury et l’écrivain Mohamed Zafzaf.
Ce geste de se tourner vers le public, pour l’interroger en premier lieu sur le cinéma qu’ils attendent, en tentant de concilier réalité sociale et cinéma, fait écho aux interrogations de l’époque (notamment post-68) où l’on tentait d’ouvrir le processus du film et du cinéma à tous.
Les personnes interrogées semblent toutes être en demande d’un cinéma social, proche des problèmes du peuple. Certains même ne sont jamais allés au cinéma « Au lieu de vous préoccuper de cinéma, intéressez-vous à d’autres choses, au chômage ». Et d’autres les encouragent à aller vers un cinéma parlant « des sujets de société, racontant nos problèmes ». Le discours le plus affirmé est celui de l’intellectuel et écrivain Mohamed Zafzaf « Le cinéma doit être engagé et exprimer les problème des masses ouvrières ». « Je veux un cinéma qui émane du public et qui s’adresse à lui » capable « d’aborder les problèmes politiques », « des films qui parlent de la société ». « Pour moi le cinéma devrait raconter des choses réelles qui se produisent » ajoute t’il, annonçant la réflexion à venir des cinéastes qui vont s’interroger sur la possibilité d’un cinéma qui se construit sur un événement, comme celui du meurtre au port.
Dans son « Histoire du cinéma marocain », le cinéaste et écrivain Ahmed Bouanani raconte que « le tournage de ce film restera dans les annales du cinéma marocain dans ce sens où jamais pareille expérience n’a soulevé autant d’enthousiasme et mobilisé autant d’énergie (…) Mais le public n’aura sans doute jamais l’occasion de juger par lui même ce travail de recherche. De toutes les façons, ce film, et d’autres, démontrent de manière flagrante aussi bien auprès du spectateur non averti que du cinéphile, que le cinéaste marocain des années 70 et 80 n’a pas le droit d’utiliser la caméra comme on utilise un microscope de laboratoire, et qu’il est tenu de se plier à certaines exigences. Sous d’autres cieux, ou en d’autres temps, autrement dit avec l’existence d’un cinéma national bien établi, la recherche de nouveaux langages par l’image et le son serait vue probablement d’un bon œil, et même encouragée »[4]. Le problème soulevé ici par Bouanani est celui de l’existence, au Maroc, d’un « cinéma de recherche » comparable aux cinémas alternatifs qui se développent souvent en contre point du cinéma « officiel » dans des pays aux cinématographies nationales déjà affirmées, alors même que le cinéma marocain est lui encore naissant.
[1] Toutes les citations sont tirées d’un entretien entre Mostafa Derkaoui et Léa Morin chez Mostafa Derkaoui, juin 2015
[2] Etudes cinématographiques, revue du FNCCM, juillet 1985, entretien avec Mostafa et Abdelkrim Derkaoui réalisé par Driss Chouika et Mohamed Kaouti
[3] Directeur d’édition Abdellatif Laabi, revue n°2, Souffles, Rabat, deuxième trimestre 1966.
[4] La septième porte, une histoire du cinéma au Maroc de 1907 à 1986, Ahmed Bouanani, 1987 (non publié), publication à venir Kulte Editions, Rabat, 2020.
ENG
Le tournage du premier film de Mostafa Derkaoui s’est déroulé de janvier à avril 1974 dans les quartiers populaires et les bars du port de Casablanca. Cette production indépendante a bénéficié d’une mobilisation collective unique dans l’histoire culturelle du Maroc. L’implication des peintres d’abord (Melehi, Kacimi, Hamidi, Chebâa, etc) qui participent au financement du film en vendant leurs œuvres, mais aussi celle de toute la bande d’intellectuels qui gravite autour de Mostafa Derkaoui, son frère Abdelkrim en premier lieu, ainsi que les comédiens du théâtre municipal, les musiciens du groupe en vogue Jil Jilala ou encore les écrivains, journalistes et poètes les plus engagés du moment (Zafzaf, Nissaboury, Jamaï, Dziri, etc), du moins ceux qui ne sont pas emprisonnés.
Car depuis une dizaine d’années déjà, tous ces agitateurs, pour la plupart récemment revenus d’études en art, cinéma ou littérature à l’étranger, et notamment de pays communistes, font face à une répression autoritaire. La revue Souffles, qui leur offrait un espace libre d’expression, a été interdite en 1972 et son fondateur le poète Abdellatif Laabi arrêté avec de nombreux autres sympathisants et activistes de partis marxistes léninistes clandestins aux velléités de révolution.
C’est donc dans ce contexte de tensions, exacerbées par les récentes tentatives de coups d’état militaire de 1971 et de 1972, qui n’ont fait que renforcer l’isolement et donc la répression du Roi Hassan II, que Mostafa Derkaoui réalise son premier long métrage De quelques évènements sans signification. C’est en lui, en 1974, que les artistes et intellectuels marocains, toujours portés par les espoirs d’une révolution sociétale et culturelle pour leur pays nouvellement indépendant, fondent leurs espoirs.
Cet engouement collectif, cette solidarité entre artistes et intellectuels de toutes disciplines indiquent le niveau d’attente de toute une génération qui guettait depuis plusieurs années le retour des frères Derkaoui, partis en 1965 pour étudier le cinéma en Pologne à l’école de cinéma de Lodz. C’est l’attente d’un cinéma marocain, au delà des quelques expériences cinématographiques menées depuis l’indépendance (en 1973 la filmographie marocaine compte sept long métrages), mais aussi l’attente d’une nouvelle voix.
Le tournage de ce film est le point culminant d’une énergie créative exceptionnelle dans les années 1960 et 1970 au Maroc. Une énergie fondée sur le collectif et la capacité de sortir se confronter au monde, et ce dans tous les domaines artistiques. En parallèle aux interventions, on réfléchit à l’époque, notamment à travers les revues culturelles et cinématographiques, outils théoriques et de réflexion par excellence, et à la place qu’occupe l’artiste et le penseur face aux enjeux sociaux et politiques « de la rue ». Un désir profond d’ouverture vers l’espace public qui ne sera pas spécialement apprécié par les autorités.
L’équipe rencontrera très vite de nombreux obstacles : financiers, matériels, mais aussi des interruptions de tournage. Finalement le film sera interdit de diffusion par les autorités, car jugé « inopportun au Maroc ». Il ne rencontrera jamais son public. La seule projection « officielle » s’est déroulée en novembre 1975 au premier Festival International cinématographique de Paris, programmé par Henri Chapier qui qualifiait le film de proposition pour un « cinéma underground marocain ».
Cette interdiction est bien entendu liée au propos politique du cinéaste. Le film nous parle d’un ouvrier qui tue son chef, quelques années après les coups d’états contre le roi Hassan 2. Mais c’est aussi son ton libre et cette volonté de montrer les visages, les gestes, les lieux et les mots d’un Casablanca populaire, bien éloigné de l’image d’un Maroc « entre tradition et modernité » que cherche à promouvoir les autorités.
Si le film a longtemps été tenu à l’écart des projections officielles, des cinéphiles se sont organisés pour que le film puisse être vu de manière clandestine, au moins entre eux, comme par exemple au festival de Khouribga en 1977 sous l’impulsion de Nourredine Saïl qui avait convié plusieurs critiques internationaux à cette « projection de minuit ».
Suite à cette interdiction, Mostafa Derkaoui mettra plusieurs années avant de pouvoir tourner de nouveau, pour ensuite devenir le cinéaste prolifique, fondateur du cinéma marocain moderne que l’on connaît aujourd’hui.
L’interdiction est finalement levée dans les années 90, mais le film ne bénéficiera pas pour autant d’une sortie. Au début des années 2000, et après la faillite du laboratoire espagnol qui avait développé le film dans les années 70, on ne sait plus où sont les négatifs. Seules de mauvaises copies numériques du film circulent dans les cercles cinéphiles, grâce au collectionneur Mostafa Dziri, ami des Derkaoui qui leur avait emprunté une copie 35mm pour faire un télécinéma à la télévision marocaine. Ce « sauvetage » marquera la première étape de sa redécouverte et restauration qui nous permet aujourd’hui de pouvoir le montrer et lui redonner sa place dans une histoire du cinéma mondial.
Mostafa Derkaoui voulait faire un film « sur la personne du marocain et sur tout ce qui peut aller à son encontre, un film contre le régime autoritaire [1] ». Un film contre ceux qui se prennent pour des opposants et qui ont des idéaux d’émancipation alors qu’ils ne sont que « des sbires du régime » au service de la domination du peuple. « Je croyais encore que les choses pouvaient se faire mieux, plus rapidement et de manière plus catégorique chez moi au Maroc. Je fais clairement allusion au régime de Hassan II. Je voulais un changement maintenant, pas dans 10 ans »1. Dans le film de Derkaoui le plus révolté n’est pas le réalisateur et son groupe d’artistes marxistes qui interrogent le peuple et se posent de grandes questions sur la culture et la société, le révolté est le jeune ouvrier qui a tué son chef car il n’en pouvait plus de se faire exploiter.
Le dispositif filmique est assez « révolutionnaire » en ce début des années 70 au Maroc. Aucun réalisateur avant lui n’est sorti dans la rue, en « cinéma direct », pour filmer les casablancais (mise à part Mohammed Abbazi en 1969 dans une discrète et inachevée expérience cinématographique). Et même s’il ne s’agit pas ici d’un dispositif documentaire à proprement parler, puisque nous sommes dans un récit fictionnel et que les scènes sont préparées en amont, une grande part est laissé au réel. La caméra Arriflex BL 16mm prêtée par le CCM est discrète, portée à l’épaule, légère et silencieuse, la prise de son est directe. Lors de l’« enquête » Mostafa discute au préalable avec les « interrogés » de leurs réponses, des thématiques ou du sujet général, et le tournage commence. La parole est libre. « Tous les acteurs jouent bénévolement et ont droit de regard sur le tournage. Chaque scène, et parfois même des plans du film sont discutés avant et après leur tournage »1. Même chose pour les scènes dans les bars qui laissent une large part à l’improvisation. Et les censeurs ne manqueront pas la portée politique de cet acte.
Cette esthétique radicale et ce choix de ne jamais décider entre les deux niveaux de récits est surtout une manière d’introduire une réflexion (que Mostafa Derkaoui prolongera dans ses films suivants) sur le rapport du cinéma au réel. « Je voulais investir le cinéma par des moyens qui me permettront de mieux connaître son fonctionnement. (…) Quand (…) j’ai réalisé mon premier long-métrage « De quelques évènements sans signification », filmé par Abdelkrim, j’ai entamé le point de départ de cette période qui allait nous permettre de confronter notre conception du cinéma, en tant que domaine d’étude, avec le réel qui l’entoure, qui en est la source et en même temps l’émanation, et même le champ d’expérimentation des résultats (…) »[2]
« Je parle de moi même, de ce qui m’intéresse le plus immédiatement, j’ai un peu plus de liberté, mais je peux traiter plus amplement je peux travailler un peu plus à l’aise quand je parle d’un groupuscule disons une équipe de réalisation et de mise en scène confronté à ce qui l’entoure au dispositif. Et quand je fais ce revirement quand je fais tourner l’objectif vers le dispositif lui même, il y a cet espoir en moi, qu’en travaillant avec le détail j’atteints la fiction, c’est à dire que du microcosme qu’est le dispositif j’espère atteindre un cercle un peu plus large »
Mostafa Derkaoui aime à raconter que lorsqu’il était à l’école de cinéma de Lodz, où l’étude et la réalisation du documentaire était très présente, il avait le désir de faire un film qui puisse lui permettre d’être « au plus proche des visages, de la parole et des gestes. » Et c’est quand un de ses professeurs lui a affirmé que cela était impossible qu’il s’est mis en tête de réaliser un film qu’avec des plans rapprochés. L’utilisation des gros plan, mais aussi le mouvement caractérisent bien le cinéma de Derkaoui et sa tentative esthétique pour De quelques évènements, et nous rapproche d’une esthétique documentaire, et donc du réel. Ce rapprochement, à l’excès parfois, nous empêche souvent de nous situer. Les lieux ne sont pas identifiés. Surtout que la caméra est toujours en mouvement. Les voix se chevauchent, les visages aussi, dans un espace contigu. La caméra bouge sans arrêt de personnes en personnes comme si elle cherchait quelqu’un, un visage sur lequel se poser ou un « événement » à filmer ? Il faut imaginer Mostafa Derkaoui en train de chorégraphier ses scènes en renvoyant constamment ses personnages passer devant la caméra. Là aussi ces mouvements de caméra qui semblent imprécis et cette gêne provoquée par l’image souvent obstrués par les figurants, nous rapproche des personnages et donc du « réel ».
Le film commence par une enquête. Une question initiale. Celle d’un groupe de cinéastes, qui alors que leur cinéma national est à ses débuts, se demandent quel cinéma ils peuvent et vont faire. Et quel cinéma intéresse le public. « Parce que le cinéma et les films doivent être faits pour ceux qui les regardent, pour ceux qui vont se déplacer pour aller les voir. Je ne souhaitais pas imposer un point de vue mien, qui n’a aucune valeur, mais je voulais plutôt que les gens pour qui je vais travailler me disent ce qu’ils souhaitent voir sur un écran ». Cette enquête menée par le personnage du cinéaste, joué par le journaliste Abbas Fassi-Fihri, et son équipe, dont un assistant joué par Mostafa Derkaoui lui même, sera le fil conducteur du film.
Le groupe de cinéastes interroge les casablancais dans la rue et dans les cafés sur leurs attentes d’un cinéma marocain. Cette recherche est pour eux un moyen de trouver un sujet pour leur film, et ils en discuteront notamment lors d’une longue séquence tournée sur une terrasse. Cette enquête et ce débat fait écho à un débat entre cinéastes paru dans la revue Souffles en 1966[3], et pensé comme une tribune d’expression pour les cinéastes marocains qui se retrouvent alors dans une « impasse ». Alors que le cinéma marocain peine à émerger, ils tentent d’expliquer et de comprendre cette « impossibilité de faire un cinéma marocain » mais surtout souhaitent y apporter « des réponses et solutions ». Dans leurs discussions, le contexte décolonial est omniprésent, pour les uns c’est l’urgence d’informer, d’éduquer, pour les autres l’urgence de « décoloniser la culture » et de se connaître soi même pour ensuite faire un cinéma national.
Tout comme Souffles offrait aux intellectuels une tribune pour s’interroger sur le monde en mutation avec le défi de la colonisation culturelle mais surtout sur leur rôle et leur place en tant qu’intellectuels marocains, acteurs de la construction d’un pays en plein développement économique et social, De quelques évènements ré-ouvre ce débat, notamment à travers la recherche d’une définition d’un cinéma marocain à venir pour laquelle il convoque des cinéastes mais aussi des intellectuels comme le poète Nissaboury et l’écrivain Mohamed Zafzaf.
Ce geste de se tourner vers le public, pour l’interroger en premier lieu sur le cinéma qu’ils attendent, en tentant de concilier réalité sociale et cinéma, fait écho aux interrogations de l’époque (notamment post-68) où l’on tentait d’ouvrir le processus du film et du cinéma à tous.
Les personnes interrogées semblent toutes être en demande d’un cinéma social, proche des problèmes du peuple. Certains même ne sont jamais allés au cinéma « Au lieu de vous préoccuper de cinéma, intéressez-vous à d’autres choses, au chômage ». Et d’autres les encouragent à aller vers un cinéma parlant « des sujets de société, racontant nos problèmes ». Le discours le plus affirmé est celui de l’intellectuel et écrivain Mohamed Zafzaf « Le cinéma doit être engagé et exprimer les problème des masses ouvrières ». « Je veux un cinéma qui émane du public et qui s’adresse à lui » capable « d’aborder les problèmes politiques », « des films qui parlent de la société ». « Pour moi le cinéma devrait raconter des choses réelles qui se produisent » ajoute t’il, annonçant la réflexion à venir des cinéastes qui vont s’interroger sur la possibilité d’un cinéma qui se construit sur un événement, comme celui du meurtre au port.
Dans son « Histoire du cinéma marocain », le cinéaste et écrivain Ahmed Bouanani raconte que « le tournage de ce film restera dans les annales du cinéma marocain dans ce sens où jamais pareille expérience n’a soulevé autant d’enthousiasme et mobilisé autant d’énergie (…) Mais le public n’aura sans doute jamais l’occasion de juger par lui même ce travail de recherche. De toutes les façons, ce film, et d’autres, démontrent de manière flagrante aussi bien auprès du spectateur non averti que du cinéphile, que le cinéaste marocain des années 70 et 80 n’a pas le droit d’utiliser la caméra comme on utilise un microscope de laboratoire, et qu’il est tenu de se plier à certaines exigences. Sous d’autres cieux, ou en d’autres temps, autrement dit avec l’existence d’un cinéma national bien établi, la recherche de nouveaux langages par l’image et le son serait vue probablement d’un bon œil, et même encouragée »[4]. Le problème soulevé ici par Bouanani est celui de l’existence, au Maroc, d’un « cinéma de recherche » comparable aux cinémas alternatifs qui se développent souvent en contre point du cinéma « officiel » dans des pays aux cinématographies nationales déjà affirmées, alors même que le cinéma marocain est lui encore naissant.
[1] Toutes les citations sont tirées d’un entretien entre Mostafa Derkaoui et Léa Morin chez Mostafa Derkaoui, juin 2015
[2] Etudes cinématographiques, revue du FNCCM, juillet 1985, entretien avec Mostafa et Abdelkrim Derkaoui réalisé par Driss Chouika et Mohamed Kaouti
[3] Directeur d’édition Abdellatif Laabi, revue n°2, Souffles, Rabat, deuxième trimestre 1966.
[4] La septième porte, une histoire du cinéma au Maroc de 1907 à 1986, Ahmed Bouanani, 1987 (non publié), publication à venir Kulte Editions, Rabat, 2020.
ENG
RECONSTITUER QUELQUES EVENEMENTS SANS SIGNIFICATION
A collective project through and through
In January 1974, Mostafa Derkaoui returned to Casablanca from his studies at the film college in Łódź, Poland. Together with his brother Abdelkrim, he shot his first film in the city’s bars and streets, in the harbour and the poorer districts. The independently produced film was borne by a collective energy unique in the cultural history of the country, even if Moroccan cinema was only starting to develop at the time.
Censorship kept the film from being screened in public for so many years that, in the end, the participants could only remember the extraordinary shoot. And many people had participated: first of all, the modern painters (Melehi, Chebaa, Hamidi and others) who helped fund the film by selling their works; then the group of people who were always near Mostafa Derkaoui, most importantly his brother, but also the actors from the municipal theatre, the musicians of the popular group Jil Jalala, as well as the politically engaged writers, journalists and poets (Mostafa Nissabory and Mohamed Zeftzaf) – at least those who were not in prison.
For more than a decade, these rebellious spirits, most of whom had recently returned from studying art, film or literature abroad, had been subjected to strong repression. The magazine “Souffles”, which had offered them opportunities for free expression, was banned and its founder Abdellatif Laabi was arrested, along with many other underground sympathisers and activists of the Marxist-Leninist parties working towards revolution. Two failed military coups in 1971 and 1972 exacerbated the political situation in Morocco, intensifying the country’s isolation and King Hassan II’s accompanying repression. This background explains why the film was banned, as it depicts a Marxist youth culture and the revolt of a worker who kills his boss. Mostafa Derkaoui wanted to make a film about ‘a normal Moroccan and everything that can happen to him, and a film against authoritarian power relations’. A film aimed against those who consider themselves oppositional and hold aloft the ideals of emancipation, while actually helping oppress the people by acting as ‘henchmen of the regime’. In Derkaoui’s film, the rebels are not the director and his group of Marxist artist friends who interview people and reflect on culture and society; the rebel is the young man who kills his employer because he can no longer stand being exploited. (All quotations are from a talk between Mostafa Derkaoui and Léa Morin, held in June 2015 at Mostafa Derkaoui’s home)
Censorship kept the film from being screened in public for so many years that, in the end, the participants could only remember the extraordinary shoot. And many people had participated: first of all, the modern painters (Melehi, Chebaa, Hamidi and others) who helped fund the film by selling their works; then the group of people who were always near Mostafa Derkaoui, most importantly his brother, but also the actors from the municipal theatre, the musicians of the popular group Jil Jalala, as well as the politically engaged writers, journalists and poets (Mostafa Nissabory and Mohamed Zeftzaf) – at least those who were not in prison.
For more than a decade, these rebellious spirits, most of whom had recently returned from studying art, film or literature abroad, had been subjected to strong repression. The magazine “Souffles”, which had offered them opportunities for free expression, was banned and its founder Abdellatif Laabi was arrested, along with many other underground sympathisers and activists of the Marxist-Leninist parties working towards revolution. Two failed military coups in 1971 and 1972 exacerbated the political situation in Morocco, intensifying the country’s isolation and King Hassan II’s accompanying repression. This background explains why the film was banned, as it depicts a Marxist youth culture and the revolt of a worker who kills his boss. Mostafa Derkaoui wanted to make a film about ‘a normal Moroccan and everything that can happen to him, and a film against authoritarian power relations’. A film aimed against those who consider themselves oppositional and hold aloft the ideals of emancipation, while actually helping oppress the people by acting as ‘henchmen of the regime’. In Derkaoui’s film, the rebels are not the director and his group of Marxist artist friends who interview people and reflect on culture and society; the rebel is the young man who kills his employer because he can no longer stand being exploited. (All quotations are from a talk between Mostafa Derkaoui and Léa Morin, held in June 2015 at Mostafa Derkaoui’s home)
A unique funding system
In a talk with Nourredine Sail, Mostafa Derkaoui explained (…) that his project should be understood as a ‘thoroughly collective work’. ‘That, I think, is its essence. And we wanted to preserve this collective character on all levels of the project. That’s why the production was also firmly grounded in the concrete material support of a number of Moroccan artists.’ Mostafa Derkaoui is alluding to the unique funding system that was invented to produce DE QUELQUES ÉVÉNEMENTS SANS SIGNIFICATION and guarantee the film’s independence. A number of renowned painters contributed, including Melehi, Hamidi, Chabaa, Bekkai, Miloud, Belcadi, Kacimi and Aziz Sayed. (Maghreb Information, talk with Nourredine Sail, April 1974)
A radical cinema
From the very beginning, ‘I didn’t want to work narratively or fictionally, but to examine cinema with means that grant me a better understanding of how it functions and to familiarise the audience with them as much as possible. While I was shooting my first feature-length film, DE QUELQUES ÉVÉNEMENTS SANS SIGNIFICATION, in Morocco, with Abdelkrim as cameraman, a phase began for us in which we could confront our idea of what film is, what it should investigate, with the reality out there (…).’ (Études cinématographiques, revue du FNCCM, July 1985, talk with Mostafa and Abdelkrim Derkaoui, conducted by Driss Chouika and Mohamed Kaouti)
Filmmakers did not have any rights
In his still unpublished ‘A History of Moroccan Cinema’, the filmmaker and writer Ahmed Bouanani says that ‘this film’s shoot will go down in the annals of Moroccan film because never before did a similar project release so much enthusiasm and so much energy. (…) But the public will undoubtedly never have the opportunity to judge this work for itself. In every respect, this film – like others – drastically demonstrates to the novice as well as the cinephilic viewer that, in the ’70s and ’80s, Moroccan filmmakers did not have the right to use the camera in the way that, say, one uses a microscope in the lab, and that they had to accept certain constraints. At another time and under different circumstances – in other words, if an established Moroccan cinema had existed – the search for a new audiovisual language would presumably have met with good will and encouragement.’ (La septième porte. A History of Moroccan Cinema, 1907 to 1986, Ahmed Bouanani, 1987, unpublished. The book will soon appear with Kulte Editions, Rabat 2019.)
A different approach
Bouanani highlights the problem that in Morocco there is a ‘cinema of searching and exploring’ (‘cinéma de recherche’), comparable to the alternative or underground cinema that often develops as a counter-movement in countries with an already established film culture – and this is the case despite the fact that Moroccan cinema is still in its infancy. Derkaoui is aware of this, but refuses to produce ‘traditional’ cinema; he does not want to defer to the expectations of the public and the critics. After many years spent abroad studying film, the filmmaker wants to proceed ‘differently’ in his metier. In an interview with the poet Mostafa Nissaboury, he elucidates his reasons: ‘The structures of cinema are, on the one hand, incompatible with our way of seeing things; on the other hand, we want to try out something entirely our own, something that neither refers to the experiences of people in capitalist countries, nor to those in Third World countries, like Algeria, Egypt and Brazil.’ (Pour une dynamique du cinéma collectif, Mostafa Nissaboury, Integral, March/April 1974)
?What is cinema
This political film, situated between narrative and documentary film and banned by the censors, reflects on the nature of cinematic language and its relationship to society.
At a meeting with film students in Marrakech in February 2016, Mostafa spoke about his approach. ‘For me, cinema must speak for itself and must face the question, What is cinema? We approached people in the bistro or the harbour and asked them questions about cinema. Abbas Fassi-Fihri asks a woman, ‘What is your favourite film?’ She answers, ‘Moroccan cinema, of course, Moroccan films.’ At this point, Fassi-Fihri digs deeper, ‘Which Moroccan films have you seen, then?’ ‘None.’ Nonetheless, she likes Moroccan film best. One can like Moroccan cinema, even if no films are made there.’ (La Serre, Cyber Parc de Marrakech, Atelier de L’Observatoire, talk between Léa Morin and Mostafa Derkaoui)
At a meeting with film students in Marrakech in February 2016, Mostafa spoke about his approach. ‘For me, cinema must speak for itself and must face the question, What is cinema? We approached people in the bistro or the harbour and asked them questions about cinema. Abbas Fassi-Fihri asks a woman, ‘What is your favourite film?’ She answers, ‘Moroccan cinema, of course, Moroccan films.’ At this point, Fassi-Fihri digs deeper, ‘Which Moroccan films have you seen, then?’ ‘None.’ Nonetheless, she likes Moroccan film best. One can like Moroccan cinema, even if no films are made there.’ (La Serre, Cyber Parc de Marrakech, Atelier de L’Observatoire, talk between Léa Morin and Mostafa Derkaoui)
The restoration of the film
After the end of the shoot, the 16mm original negative was developed in the Spanish laboratory Fotofilm. The editing was done in Morocco, and the material then moved from Madrid to Barcelona, where it was blown up from 16mm to 35mm. In 1975, the film was shown at a film festival in Paris. Since it was neither allowed to be shown or exported, its distribution from then on was restricted to secret screenings.
In the early 2000s, thanks to the collector Mostafa Dziri, a friend of Derkaoui, some VHS copies and later some low-quality DVDs circulated in cinephilic circles. In 2011, the filmmaker Ali Essafi used excerpts from the film in his short film WANTED. The original negatives went missing after the Fotofilm lab declared insolvency in 1999.
Only when Léa Morin, a film scholar specialising in the history of Moroccan cinema, began her research in 2016 did she come across the negatives in the Filmoteca de Catalunya in Barcelona. This discovery and the ensuing correspondence between her, the Derkaoui brothers and the team at the Filmoteca de Catalunya led to the protracted restoration of the film, so that forty years after it was made it could finally be discovered and shown internationally.
In the early 2000s, thanks to the collector Mostafa Dziri, a friend of Derkaoui, some VHS copies and later some low-quality DVDs circulated in cinephilic circles. In 2011, the filmmaker Ali Essafi used excerpts from the film in his short film WANTED. The original negatives went missing after the Fotofilm lab declared insolvency in 1999.
Only when Léa Morin, a film scholar specialising in the history of Moroccan cinema, began her research in 2016 did she come across the negatives in the Filmoteca de Catalunya in Barcelona. This discovery and the ensuing correspondence between her, the Derkaoui brothers and the team at the Filmoteca de Catalunya led to the protracted restoration of the film, so that forty years after it was made it could finally be discovered and shown internationally.
What Moroccan film
does and does not do
The film shows a group of filmmakers, drunk on wine and Marxist principles. They ask themselves what the collective purpose of their art is, and they look for a theme for their film (...). Since they want to launch a debate about cinema, the group goes out into Casablanca, seeking a hypothetical public that would allow them work on something related to audience expectations. Encounter follows encounter, statement follows statement. ‘Politically engaged Moroccan cinema,’ they say, ‘has to take an interest in the problems of society.’ – ‘Moroccan cinema doesn’t even exist.’ – ‘As viewers, we find it difficult to say what you should do.’ – ‘Shoot a film first, then we can talk about it.’ – ‘I love Moroccan cinema. I would take part in any Moroccan production,’ avers a young employee of the prefecture. (Reda Zaireg, Le cinéma marocain confronté au réel, Orient XXI, November 2017)
“The sheer fact of its rediscovery incites curiosity—and, often, films rescued from oblivion are less interesting than the tale of their rediscovery. That’s not the case with “About Some Meaningless Events.” The film would be equally noteworthy had it always been in circulation, because it would long ago have been hailed as one of the most original political films of the time, and recognized as further proof (as if it were ever needed) that aesthetic imagination and civic engagement aren’t opposed, but, rather, are mutually reinforcing...With its express effort at cinematic innovation, “About Some Meaningless Events” should have been, in the intervening decades, a beacon for new generations of filmmakers, in Morocco and everywhere. Much of documentary filmmaking remains stuck in unquestioned assumptions of practice and manner; Derkaoui’s work remains, half a century later, ahead even of the present day.“ (Richard Brody, New Yorker, 2021)
Mostafa Derkaoui was born in Oujda, Morocco in 1944. Between 1963 and 1964, he studied at the French film school Institut des Hautes Études Cinématographiques (IDHEC, now La Fémis) in Paris before studying at the Polish film school Państwowa Wyższa Szkoła Filmowa i Teatralna in Łódź from 1965 to 1972. In 1974, Derkaoui and his brother founded the production company Basma Productions. DE QUELQUES ÉVÉNEMENTS SANS SIGNIFICATION was his first feature-length film.
“The sheer fact of its rediscovery incites curiosity—and, often, films rescued from oblivion are less interesting than the tale of their rediscovery. That’s not the case with “About Some Meaningless Events.” The film would be equally noteworthy had it always been in circulation, because it would long ago have been hailed as one of the most original political films of the time, and recognized as further proof (as if it were ever needed) that aesthetic imagination and civic engagement aren’t opposed, but, rather, are mutually reinforcing...With its express effort at cinematic innovation, “About Some Meaningless Events” should have been, in the intervening decades, a beacon for new generations of filmmakers, in Morocco and everywhere. Much of documentary filmmaking remains stuck in unquestioned assumptions of practice and manner; Derkaoui’s work remains, half a century later, ahead even of the present day.“ (Richard Brody, New Yorker, 2021)
Mostafa Derkaoui was born in Oujda, Morocco in 1944. Between 1963 and 1964, he studied at the French film school Institut des Hautes Études Cinématographiques (IDHEC, now La Fémis) in Paris before studying at the Polish film school Państwowa Wyższa Szkoła Filmowa i Teatralna in Łódź from 1965 to 1972. In 1974, Derkaoui and his brother founded the production company Basma Productions. DE QUELQUES ÉVÉNEMENTS SANS SIGNIFICATION was his first feature-length film.
MOSTAFA DERKAOUI
BIO-FILMOGRAPHIE
Né en 1944 à Oujda, Maroc
Baccalauréat philosophie, 1962
Conservatoire d’Art Dramatique de 1957 à 1962
Propédeutique option philosophie au Lycée Lyautey, 1962-1963
IDHEC 1963-1964
Ecole de cinéma de Lodz en Pologne, 1965-1972
1964 : Les quatre murs, CM
1968 : Adoption, CM documentaire
Amghar, CM
1968 : Les gens de caveau, CM
1969 : Les états généraux du cinéma, CM documentaire
1971 : Un jour quelque part, CM film de diplôme
1974 : De quelques évènements sans significations, LM
1975 – 1976 : 4 films documentaires sur le monde rural pour le compte du gouvernement iraquien
1976 : Les cendres du clos, œuvre collective, LM
1981 : Les beaux Jours de Shereazade, LM
1982-1984 : Titre provisoire, LM
1988 : La femme rurale au Maroc, LM documentaire
1989-1992 : Fiction première, LM
1991 : Le Silence CM La guerre du golfe et après
1994 : Je(u) au passé, LM
Les sept portes de la nuit, LM
La grande allégorie, LM
1999-2000 : Les amours de Hadj Mokhtar Soldi, LM
2002-2003 : Casablanca by night LM
2003-2004 : Casablanca Day Light, LM
Copyright © 2020 / Léa Morin — CINIMA3 / Talitha