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︎︎︎5. CINÉMA 3


5.1

Pour un cinéma national




5.2

Le cinéma Autrement




5.3

UNE CRITIQUE NOUVELLE




5.4

DOCUMENTS





Photogramme du film De quelques évènements sans signification de Mostafa Derkaoui, 1974


(5.2)

UN CINÉMA AUTREMENT 



L’esprit collaboratif, complètement dans l’air du temps de cette génération 1960 marquée par les luttes de décolonisation, l’esprit de révolte de mai 1968, la Guerre du Vietnam, les théories marxistes et les luttes agraires à travers le monde, tous ces mouvements portés par la collectivité, par l’unité (que ce soit l’unité arabe, celle des non alignés, de la lutte des classes, ou encore l’unité africaine) des peuples en lutte, et marqués par les « solidarités internationales » on le retrouve parfaitement dans les études et tentatives cinématographiques de Mostafa Derkaoui à Łódź.


Mostafa Derkaoui (au centre) au Festival de Khouribga, 1977, Coll. Ahmed Boughaba



“Quand j’étais à l’école à Łódź, j’avais le désir de faire un film où je sois au plus proche des visages, de la parole et des gestes. Un de mes professeurs m’a affirmé que c’était impossible à faire, c’est pourquoi je me suis mis en tête de réaliser un film qu’avec des plans rapprochés. J’ai voulu faire un cinéma qui circulait en rhizome. Un autre cinéma qui n’a pas de racines, pas de tiges, pas de fleurs. Un cinéma qui est une volonté expressive, une volonté de vouloir dire quelque chose”

Entretien avec Mostafa Derkaoui, 2016


C’est de cette collusion à Łódź entre de futurs cinéastes, penseurs ou artistes venus du monde entier, et souvent de pays récemment décolonisés ou en lutte, qu’a pris naissance un film comme De quelques évènements sans signification (1974, Maroc). Et que l’on peut aller jusqu’à situer l’origine du projet cinématographique de Derkaoui, et avec lui tout un pan de la filmographie marocaine.




« Nous ne voulions pas, rentrés au pays, faire du cinéma dans le sens traditionnel du terme. D’ailleurs les structures du cinéma sont incompatibles avec notre façon de voir les choses, d’une part, et d’autre part nous voulions tenter une expérience qui soit propre à nous, qui ne reprenne ni les autres expériences faiTes dans les pays capitalistes ni celles connues au tiers-monde, comme en Algérie, en Egypte et au Brésil. »


Mostafa Derkaoui, Pour une dynamique du cinéma collectif,
Entretien avec Mostafa Nissaboury, Intégral, Mars Avril 1974


Le film De quelques évènements sans signification (1974) commence par une enquête qui fait écho au débat entre cinéastes paru dans la revue Souffles en 1966. Une question initiale. Celle d’un groupe de cinéastes, qui alors que leur cinéma national est à ses débuts, se demandent quel cinéma ils peuvent et vont faire. Et quel cinéma intéresse le public. Pour cela, ils interrogent les casablancais dans la rue et dans les cafés sur leurs attentes d’un cinéma marocain.  


« Nous voulons habituer les gens à voir le cinéma autrement, nous voulons aussi opérer notre rééducation, celle de notre regard et de notre sensibilité. Si nous avons quelque chose à dire, c’est dans le domaine culturel. Il n’y a pas d’activité sûre au sein des partis politiques ; si une idéologie doit se créer, pour l’instant elle n’émanera que de l’activité culturelle en tant que reflet de la réalité. Créer la culture est un besoin vital pour nous et pour toute notre société. »


Mostafa Derkaoui, Pour une dynamique du cinéma collectif,
Entretien avec Mostafa Nissaboury, Intégral, Mars Avril 1974



Revues Intégral N°7, N°8 et N°1, revue de création plastique et littéraire, Directeur de Publication Mohamed Melehi, Casablanca, 1971 et 1974, Archives Bouanani 


Cette production indépendante a bénéficié d’une mobilisation collective unique dans l’histoire culturelle du Maroc avec l’implication des peintres (Melehi, Kacimi, Hamidi, Chebâa, etc) qui participent au financement du film en vendant leurs œuvres, mais aussi celle de toute la bande d’intellectuels qui gravite autour de Mostafa et Abdelrkim Derkaoui, les comédiens du théâtre municipal, les musiciens du groupe en vogue Jil Jilala ou encore les écrivains, journalistes et poètes les plus engagés du moment (Zafzaf, Nissaboury, Jamaï, Dziri, etc). Pour en lire plus sur le film. 



Une expérience à poursuivre, Khalid Jamaï, L’opinion, 1974, Archives A. Derkaoui


Après De quelques évènements sans significations, les frères Derkaoui s’embarqueront à nouveau pour un projet collaboratif, signé par un collectif de cinéastes composé de Lâarbi BELAKAF, Saâd CHRAIBI, Abdelkrim DERKAOUI, Mostafa DERKAOUI, Noureddine GOUNAJJAR, Abdelkader LAGTAA et Mohamed REGGAB : Les Cendres du Clos (1976). La production de ce film, une expérience unique de film collectif au Maroc menée par des jeunes cinéastes portés par des idéaux de collaboration, sera marqué par un conflit entre ses co-réalisateurs. 




Affiche du film Collectif Les Cendres du Clos parue dans la presse, Elaboration Collective, 1980, Archives A. Derkaoui



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